Violence et histoire dans les séries télévisées
Introduction
L’histoire est omniprésente dans le domaine audiovisuel, et les Cahiers d’histoire en ont pris acte depuis longtemps en proposant régulièrement des critiques de films, fictionnels et documentaires, comme on peut le constater ne serait-ce qu’en consultant les archives de la revue disponibles en ligne. C’est ainsi que dans le n° 84 paru en 2001, on trouve une rubrique « Films » dans laquelle l’historienne Claire Fredj présente une critique de La Chambre des officiers. La rubrique se trouve ensuite régulièrement alimentée jusqu’à être remplacée à partir du n° 122 en 2014 par une rubrique intitulée « Un certain regard » inaugurée par une critique de Chloé Maurel du film Free Angela and all political prisoners. Si, au sein de cette rubrique, les critiques de films sont longtemps restées dominantes, les séries télévisées ont peu à peu trouvé leur place, avec un premier article en 2015 de la même autrice au sujet de la série 24 heures chrono (n° 126, 2015), et surtout à partir de 2020, puisqu’environ la moitié des numéros depuis cette date proposent des articles sur les séries.
Il semble par conséquent assez naturel que les Cahiers d’histoire consacrent un dossier spécifique à l’histoire dans les séries télévisées, résultat d’une collaboration avec l’ERC DEMOSERIES, projet hébergé par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de Sandra Laugier, qui rassemble des chercheur·e·s issu·e·s de diverses disciplines dans le but d’explorer un corpus de séries télévisées fictionnelles définies comme « sécuritaires ». Ce qualificatif désigne les séries qui traitent d’un sujet devenu dramatiquement vif ces derniers mois, les activités qu'un État conduit au nom de la sécurité publique ; l’attention se portant en particulier sur la façon dont ce type de séries rend visibles pour les citoyens des États démocratiques les actions, effectuées en leur nom, qui restent normalement dans l'ombre. Les séries qui sont au cœur du projet traitent donc d’espionnage et de terrorisme, mais sont aussi incluses dans le périmètre des séries américaines comme Counterpart et Chernobyl ou la série française OVNI(s).
L’histoire en tant que telle est en effet un thème central pour DEMOSERIES. Elle apparaît dans la façon dont les séries sécuritaires produisent un discours sur les histoires particulières et l’histoire en général, et contribuent ainsi à développer la culture historique des spectateurs. Mais ces séries, comme toute série qui traite d’histoire, véhiculent aussi des interprétations des événements relatés, qui s’exposent au risque d’être accusées d’être de la propagande, comme en témoignent la réaction en Russie à la série Chernobyl évoquée ci-dessus et la création d’une série russe en réponse. Parmi les questions à prendre en considération, il y a celle des décalages qu’introduisent les auteurs de fiction avec les événements réels : c’est par exemple le cas encore de Chernobyl qui concatène plusieurs personnes ayant réellement existé en un seul personnage. De façon générale, la réflexion politique et morale conduite dans DEMOSERIES est indissociable de l’histoire, dans la mesure où l’un des principes méthodologiques du projet est de prendre en compte dans l’évaluation morale les situations particulières, ce qui suppose préalablement de déterminer ce qui s’est passé, et donc de faire de l’histoire.
Pour citer cet article : Sylvie Allouche, « Violence et histoire dans les séries télévisées : Introduction », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 161 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/24453 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1322b