Un scepticisme de l’ordinaire

dans Jean-Charles Darmon, Philippe Desan et Gianni Paganini (dir.), "Scepticisme et pensée morale : de Michel de Montaigne à Stanley Cavell"

La réflexion sur le scepticisme, qu’elle soit une promotion ou une réfutation du doute, est, hier et aujourd’hui, liée à un dénigrement de la vie ou de la perception ordinaire. Pensons à une argumentation souvent déclinée par les philosophes en réponse au scepticisme : le scepticisme est une thèse ou une théorie, mais la pratique et la vie ordinaire m’obligent à ne pas être sceptique. C’est par exemple ce que suggère Hume ; quand je ne philosophe plus et que je retourne à mes activités quotidiennes, manger, dormir, jouer je ne doute pas. Est-ce si clair ? Le scepticisme ne pourrait-il être vécu, faire partie de la vie ordinaire ? Cet ordinaire est décrit comme une évidence rassurante – comme le quotidien de la fiction cinématographique… d’où peut toujours surgir la terreur. Quand un film s’ouvre sur une scène enchaînant des éléments emblématiques du « quotidien » (petit-déjeuner, disputes familiales, départ au travail, transports en commun), le spectateur peut se préparer à une catastrophe ou une invasion. L’ordinaire, c’est même sa définition, est ce qui est toujours tenu pour acquis (taken for granted) non vu, négligé.

 

Citer ce chapitre de livre : Laugier, S. "Un scepticisme de l’ordinaire", dans Jean-Charles Darmon, Philippe Desan et Gianni Paganini (dir.), Scepticisme et pensée morale : de Michel de Montaigne à Stanley Cavell, Paris, Hermann, 2017, pp. 249-270.