De l’ordinaire au quotidien
On trouve au paragraphe 116 des Recherches philosophiques de Wittgenstein la formule suivante, qui semble dessiner le geste fondamental que se propose d’accomplir sa philosophie : « Nous reconduisons les mots de leur usage métaphysique à leur usage quotidien. » Cette proposition condense la conception que Wittgenstein se fait de la philosophie, mais soulève des difficultés. Il s’agit pour nos mots égarés de retrouver leur « lieu d’origine » (Heimat). Comme l’a constamment montré Stanley Cavell, les thèmes de la perte, de l’extranéité et de l’exil animent en profondeur la pensée de Wittgenstein. Le philosophe se présente comme celui qui est perdu dans son propre langage, empêtré dans ses règles, qui sont pourtant les nôtres. Mais que se passe-t-il qui fait déraper le langage de son usage quotidien vers son usage métaphysique ? Comment donc notre langage, qui ne dit rien d’autre que ce que nous lui faisons dire, nous échappe-t-il jusqu’à dire tout autre chose que ce que nous voulions dire, ou même jusqu’à ne plus rien dire ? C’est la question fondamentale de Cavell dès son premier livre, Dire et vouloir dire : sa thèse étant que l’ordinaire se définit à partie de cette indétermination du langage lui-même.
Citer cet article: Laugier, S. (2023). De l’ordinaire au quotidien. Communications, 112, 159-172. https://doi.org/10.3917/commu.112.0159